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Arnaud Fleurent-Didier - La Reproduction

Premier album de 2010 chroniqué ici et premier disque français : pas mal pour commencer, hein ? Enfin, bon, c'est un peu l'album obligatoire ou obligé du moment, le truc dont tout le monde parle, que tout le monde encense : Arnaud Fleurent-Didier. Drôle de nom pour une drôle de musique et un drôle de disque. Le genre d'artiste assez inclassable. Tantôt mélodique, tantôt pas. Tantôt littéraire, tantôt pas. Tantôt drôle, tantôt pas. Tantôt réussi, tantôt pas. Forcément, après, on aime parfois et parfois pas. "La Reproduction" est donc un disque qui ne devrait en toute logique pas faire l'unanimité. Alors pourquoi le fait-il ? Sans doute parce que cet album est atypique et il est toujours de bon ton d'encenser un truc sortant de l'ordinaire, français qui plus est. Parce que cette musique fait branchée, élitiste, mais pas trop quand même, parce qu'on peut y prendre ce qu'on veut et n'en garder que le meilleur. Finalement, à force de vouloir être en marge, on peut donc sans s'en rendre compte, ratisser large. C'est ce qui arrive avec ce disque, le troisième du monsieur, le deuxième sous son nom. Les paroles de "France Culture" (voir ci-dessous), le premier extrait de l'album, claquent inévitablement et pourraient rester comme symboliques d'une génération - de bobos trentenaires ? Pourtant, en réécoutant plusieurs fois "La Reproduction", on peut y entendre les références et se dire que finalement, il y a des ressemblances avec des choses qu'on connaît déjà : un peu de Gainsbourg, bien sûr, pour les arrangements assez sixties (Michel Legrand ?), pas mal de Polnareff pour les mélodies pop (et la voix ?), un zest de Diabologum pour le ton pessimiste et le chant parlé, mais aussi du Delerm pour les références culturelles, du Biolay pour le côté un peu dandy, du Katerine pour l'aspect décalé, voire même du Bénabar sur quelques trucs plus faciles en rapport avec le quotidien, et puis du Erik Arnaud, évidemment, qui lui aussi, d'ailleurs, doit sortir un nouveau disque cette année. Connaîtra-t-il le même engouement que celui-là ? Pas sûr car plus rock.
Tout ça pour dire que "La Reproduction" n'est donc pas si atypique qu'on voudrait bien nous faire croire, n'est sans doute pas le grand disque français de l'époque (oui, oui, certains vont même jusque là) mais reste un très bon disque qui se bonifie plutôt au fil des écoutes, plus par le soin apporté aux arrangements et à quelques textes bien sentis, qu'à une véritable émotion qui s'en dégagerait (encore qu'un titre comme "Si on se dit pas tout" produit son petit effet). Mais à la réflexion, ce n'est pas si courant que ça, qu'un disque nous tienne en haleine surtout grâce à ses paroles ... En bref, un disque intelligent et réfléchi, mais peinant parfois à décoller réellement. Dans tous les cas, album de la semaine haut la main. Pas trop difficile, vous me direz, vu le peu de sorties en ce moment. Le choix pour la semaine prochaine risque d'être nettement plus compliqué.

=> Interview croisée sur le site de la Blogothèque entre Arnaud Fleurent-Didier et JP Nataf, deux des meilleurs représentants de la pop made in France.

Album en écoute intégrale sur Deezer
A ne pas manquer pour les Parisiens, le cycle "Reprojections" dans lequel Arnaud Fleurent-Didier présente quelques uns des films qui l'ont le plus marqués, tous les lundis soirs du mois de février au MK2 Quai de Seine, avec un mini-concert de l'artiste dans le même temps. Plus d'informations sur le site MK2 ou ici.

Vidéo de France Culture :



Il ne m'a pas appris l'anglais,
Il ne m'a pas appris l'allemand,
Ni même le français correctement.

Elle ne m'a pas parlé des livres,
De l'histoire des idées,
Pas de politique à suivre,
Pas de mouvements de pensés.

Elle ne m'a rien montré de pratique,
Ni cuisine, ni couture,
Faire monter une mayonnaise,
Monter une SARL, tenir un intérieur.

Il ne connaissait pas grand chose en mathématiques,
Ni l'équation de Schrödinger.
Mais pour être honnête,
On avait veillé à que je perfectionne mon revers a deux mains,
Que je fléchisse bien les jambes, mais ce n'est pas resté,
Ce n'est pas rentré.

On m'a donné un modèle libérale, démocratique.
On m'a donné un certain dégout,
Disons désintérêt de la religion.

Mais il ne m'a pas dit à quoi servait le piano
Ni le cinéma français qui pourtant le faisait vivre.
Elle ne m'a pas dit comment elle s'était mariée, trompés, séparés,
Ni donné d'autre modèle à suivre.

On ne m'a pas parlé de Marx, rival de Tocqueville,
ni de Weber, l'ennemi de Lukacs,
mais on m'a dit qu'il fallait voter.

Elle ne m'a pas caché l'existence mais a tue celle de
Rousseau, de Proust, de Mort à Crédit.

Ils n'ont fait aucun commentaire sur mai 68,
Aucun commentaire sur la société du spectacle,
Mais ils savaient que Balzac était payé à la ligne
Et que l'ont pouvait en tirer un certain mépris.

Ils ne connaissaient pas d'histoire de résistance ou de Gestapo
Mais quelques arnaques pour payer moins d'impôts.

Ils se souvenaient en souriant de la carte du PC de leur père
Mais peu de De Gaulle, une blague sur Pétain, rien sur Hitler.

Ils avaient connu le monde sans télévision mais n’en disaient rien.
Ils n'avaient pas voulu que je regarde "Apocalypse Now"
Mais je pouvais lire "Au cœur des Ténèbres",
je ne l'ai pas lu. On ne m'a pas dit que c'était bien.

On ne m'a pas dit comment faire avec les filles,
Comment faire avec l'argent, comment faire avec les morts.
Il fallait trouver comment vivre avec un demi-frère, une demi-sœur, demi mort, demi -compagne, maîtresse et remarié,
Alcoolique, pas français fils de gauche : milite, milite,
Fils de droit : hérite, profite.

On ne m'a pas donné de coups,
On m'a sans doute aimé beaucoup.
Il n'y avait pas de chose à faire
À part peut-être polytechnicien.
Il n'y avait pas de chose à ne pas faire,
À part peut-être musicien.

Elle m'a fait sentir que la drogue était trop dangereuse,
Il m'a dit que la cigarette était trop chère,
Elle m'a dit qu'une fois elle avait été amoureuse,
Elle ne m'a pas dit si ça avait été de mon père.

Elle ne m'a pas dit comment faire quand on se sent seul,
Il ne m'a pas dit qu'entre vieux mais, souvent, on s'engueule.
Qu'on s'embrouille, que tout se brouille, se complique, qu'il faudrait faire sans.

Elle ne m'a rien dit sur Freud et j'ignore Lacan.
Pas de conseil ni de raisons pratiques.
Pas de sagesse de famille, pas d'histoire pour faire dormir les enfants,
Pas d'histoire pour faire rêver les grands.

Il ne soufflait mot de la Nouvelle Vague,
Et de tout ce qu'on voyait avant
Mais parlait du Louvre comme d'un truc intéressant.

On ne disait rien sur Michel Sardou
Mais on devait aimer Julien Clerc
On m'a parlé d'un concert.

Sinon je ne sais rien des pauvres,
Je ne sais rien des restes d'aristocrates,
Je ne sais rien des gauchistes,
Je ne sais rien des nouveaux riches,
On ne parlait pas de catho, ni de juifs,
Ni d'arabes.
Il n'y avait pas de chinois.
Elle trouvait que les noirs sentaient
Elle n'aimait pas les odeurs
Lui, lui s'en foutait.

Commentaires

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. " [...] On m'a parlé d'un concert. "
    Le 28 mai, rendez-vous à La Carène, Brest.

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour, juste un petit message pour vous informer qu'Arnaud Fleurent Didier sera en chat sur le site AlloMusic vendredi 2 juillet à partir de 18h ! c'est l'occasion de lui poser toutes vos questions en direct !

    Bonne journée !

    RépondreSupprimer

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