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Gérard Manset - Revivre (1991)

Il suffit parfois d'une image, qu'on nous dise "Moteur, action" pour que l'émotion subvienne, que l'évidence surgisse. Je ne suis pas un de ces vénérateurs éperdus de Manset, de ceux qui se prosternent à chaque nouvel album devant l'oeuvre du maître. Celui qui a fait de l'isolement, un sacerdoce, une profession de foi, délaissant le monde des médias depuis toujours ou presque. Depuis son plus grand succès, "Il voyage en solitaire" (un signe?) au milieu des années 70. Il y a bien "Lumières", peut-être son meilleur, que je réécoute à l'occasion. Mais son chant affecté, ses arrangements kitschs, ses paroles désuettes m'ont souvent rebuté. Et ce caractère que beaucoup affirme comme difficile, pour ne pas dire asocial. Et puis, il y eut cette scène dans le splendide dernier film de Leos Carax, "Holy Motors", la dernière ou presque, dans laquelle on entend l'intégralité de "Revivre". Pas besoin d'autres mots. Tout s'explique. Le film d'abord, pour lequel on a jusque là encore beaucoup d'interrogations et puis rapidement, le morceau résonne pour toute autre chose, en écho à nos vies. Pour nous toucher au plus profond. Et ce sont tous les défauts que je trouvais au chanteur qui volent soudain en éclat. Et une envie de remettre cette même chanson, indéfiniment. D'appuyer sans cesse sur la touche "Repeat". "Revivre" encore et encore l'expérience. On a rarement visé aussi juste.

On voudrait revivre.
Ça veut dire :
On voudrait vivre encore la même chose.
Refaire peut-être encore le grand parcours,
Toucher du doigt le point de non-retour
Et se sentir si loin, si loin de son enfance.
En même temps qu'on a froid, quand même on pense
Que si le ciel nous laisse on voudra
Revivre.
Ça signifie :
On voudrait vivre encore la même chose.
Le temps n'ai pas venu qu'on se repose.
Il faut refaire encore ce que l'on aime,
Replonger dans le froid liquide des jours, toujours les mêmes
Et se sentir si loin, si loin de son enfance.
En même temps qu'on a froid, qu'on pleure, quand même on pense
Qu'on a pas eu le temps de terminer le livre
Qu'on avait commencé hier en grandissant,
Le livre de la vie limpide et grimaçant
Où l'on était saumon qui monte et qui descend,
Où l'on était saumon, le fleuve éclaboussant,
Où l'on est devenu anonyme passant,
Chevelu, décoiffé, difforme,
Chevelu, décoiffé, difforme se disant
On voudrait revivre, revivre, revivre.

On croit qu'il est midi, mais le jour s'achève.
Rien ne veut plus rien dire, fini le rêve.
On se voit se lever, recommencer, sentir monter la sève
Mais ça ne se peut pas,
Non ça ne se peut pas,
Non ça ne se peut...

Commentaires

  1. Leos Carax, "Holy Motors" et "Revivre" de Manset, le cocktail artistique et onirique idéal.
    C'est vrai que cette superbe scène pleine d'émotion n'a pas besoin, malgré tout les mystères du film, d'autres paroles que celles du chanteur. Sa voix et sa musique transporte le spectateur, déjà K.O debout, dans une autre dimension !! Ce passage restera surement dans les annales du 7ème Art ! Un des grands films 2013, plastiquement époustouflant.

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  2. "Lumières" est sans doute l'album le plus difficile d'accès de Manset, ce n'est vraiment pas la façon la plus simple pour découvrir son œuvre.
    Manset fait des chansons définitives (pas que, il fait aussi des sombres bouses) et il en fait beaucoup (en général 3 ou 4 par album). "Revivre" en est une.

    Robert

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    Réponses
    1. Bizarrement, "Lumières" est l'album que je préfère de Manset, celui auquel j'ai tout de suite accroché...
      On est d'accord sur "Revivre" : définitif ;-)

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  3. "On croit qu'il est midi, mais le jour s'achève." Moi, c'est cette phrase simple, mais sublime, qui m'achève!

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    Réponses
    1. Oui et puis :
      "On voudrait vivre encore la même chose.
      Refaire peut-être encore le grand parcours,
      Toucher du doigt le point de non-retour
      Et se sentir si loin, si loin de son enfance..."
      et puis toute la chanson en fait.

      Comme tu dis, c'est dit simplement, comme souvent avec Manset. Des fois, ça ne touche pas et on trouve ça un peu gnangnan. Mais quand ça touche, comme ici, c'est encore plus direct !

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