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Jacques Brel - Les Vieux (1963)

Aujourd'hui, nous sommes de passage à Bruxelles, le temps d'un week-end prolongé. Bruxelles, ville de... Jacques Brel évidemment. Celui que Scott Walker vénérait et dont il a maintes fois repris les chansons sur ses trois premiers disques solo. Celui que David Bowie, lui-même, voulait rencontrer (rencontre que Brel, selon la légende, aurait malheureusement décliné, arguant qu'il n'avait rien à dire à une "tantouze"). Parce que même si l'orchestration et surtout l'interprétation ont un peu vieilli, quelques titres comme "Les Vieux" demeurent immortels, car d'une sobriété salutaire. Brel y parlait de ses parents. Ses paroles touchent aujourd'hui comme hier, chacun pourra y reconnaître ses semblables ou soi-même (je vais peut-être arrêter le muscat le dimanche midi ;). En tout cas, avec Léo Ferré, on n'a jamais aussi bien parlé du temps qui passe dans la chanson française. Et l'accompagnement, rythmant la chanson à la manière du tic-tac de la pendule amène juste ce qu'il faut de légèreté au propos quelque peu plombant. Difficile de ne pas retenir une larme à chaque nouvelle écoute. C'est d'ailleurs la critique principale que lui font ses détracteurs, Brel nous prend en otage avec son côté tire-larmes. Mais franchement, le texte ci-dessous simplement lu peut procurer la même émotion. Les poèmes les plus beaux sont souvent les plus tristes.

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un coeur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan
Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier
Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit: je vous attends

Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide
Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend

Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: je t'attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.

Commentaires

  1. Ça fait mal pas encore de commentaire sur Jacquot donc je m'y colle : Brel, c'est un des grands pans de ma vie, rencontre dès l'enfance d'un artiste plus vivant que les actuels pousseurs de chansonnette, plus rock que les jeunes brailleurs en jean slim et plus punk que tous les Che Gevara de banlieue mondialisés. Une invention d'écriture à chaque vers de chaque chanson et un interprète rare (pas vieilli pour moi!) qui charrie tout : l'espoir, le cafard, la rage, l'humour vache, les femmes infidèles, l'amour fou, l'enfance...
    Je lui pardonne même d'avoir négligé Bowie en son temps car je ne serai pas le même sans ce diable de Don Quichotte belge qui me manque toujours autant. :(

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  2. @Blake : Et bien, content de voir que Brel enchante encore, malgré le temps qui passe ;)

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